Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article ACTA POPULI

ACTA POPULI, ACTA DIURNA, PUBLICA, URBANA. Écrits où étaient rapportés les faits remarquables et de nature à intéresser le public, accomplis dans la ville de Rome. Ces écrits doivent être soigneusement distingués des ACTA SENATUS et des ANNALES MAXIMI. M. E. Hiibner, dans sa dissertation spéciale sur les acta a rassemblé quarantecinq passages des auteurs anciens', qui traitent des acta populi ; après les avoir analysés et commentés avec une remarquable érudition, en excluant huit autres passages mal à propos cités comme se référant à cet objet, il a tiré de ce travail des conclusions que nous nous bornerons en général à résumer ici. La rédaction et la publication de ces actes furent pour la première fois régulièrement organisées par Jules César, pendant son premier consulat, suivant le témoignage formel de Suétone', en même temps que celle des ACTA SENATUS. Les premiers sont souvent appelés par les auteurs acta populi diurna, ou acta publica, ou diurna populi romani, ou diurna urbis, ou acta urbis, le plus fréquemment acta sans autre qualification ; car c'était leur nom propre, et l'on n'y joignait souvent un complément que pour les opposer aux acta senatus. Les divers passages des auteurs dont le témoignage se rapporte à des extraits de ces acta prouvent que leur teneur embrassait en général trois classes de faits : 1° ceux qui étaient relatifs aux affaires publiques, les gestes des principaux personnages, tels que le refus par César du titre de roi la défection de Lépide 5; les procès les plus importants, par exemple celui de Scaurus 6 ; les discours des magistrats les supplices subis par des hommes connus 8 l'extension de l'enceinte de la ville [POMAERIUM] par Claude etc. 9. Quelquefois ils empruntaient aux actes du sénat un extrait des sénatus-consultes 10, les décisions relatives aux provinces U, les discours de l'empereur [oRATIO PRINCIPIS], et les acclamations [ACCLAMATIO] du sénat, etc. 12 ; 2° sous l'Empire, les faits relatifs à la maison impériale (doinus augusta), lesquels étaient considérés comme se rattachant intimement à la chose publique : ainsi les époques des naissances 13 des membres de la famille impériale, leurs funérailles 14, les palmes remportées dans l'arène par l'empereur Commode 15 ; 3° enfin ce que nous appellerions aujourd'hui les « faits divers » les plus intéressants de la cité ; on y trouve, par exemple, des détails sur les funérailles du célèbre cocher Félix 16, la construction, la chute ou la restauration des édifices publics 1i les naissances 18, les mariages ou les divorces dans les familles illustres 19, les prodiges et curiosités : une pluie de ACTA POPULI, DIURNA, URBANA. 1 De senatus populique rom. actis. Lips. Paitey. 25. 13 Suet Tib. 5; id. Calip. 8; Dio Cass. XLVIII, 44, 4; Capitolin. Goedinei pas que ces 00,, aient pu contenir tous les actes de l'état civil d'une ville telle que Rome [rnarrnnres ennwll. 19 Juven. HI, 134 ; IX, S4; Senee. De Genet. ACT Jo ACT tuiles 80, l'arrivée d'un phénix à Rome"; enfin les bruits de la ville , etc. M. Hübner a, selon nous, très-bien prouvé contre Becker43, que ces acta n'existaient pas avant Jules César; mais il y avait déjà dans les usages romains les éléments d'une semblable publication. Ainsi, non-seulement les grands personnages éloignés de Rome se faisaient rendre compte par leurs amis de tous les faits publics de nature à les intéresser, mais ils voulaient que l'on joignît à ces lettres une chronique manuscrite, rédigée par des scribes, et où étaient rapportés les événements dont on avait parlé à Rome n. Commentarius rerum urbanarum, tel est le titre de la chronique que Coelius Rufus envoyait à Cicéron, proconsul en Cilicie, en y insérant non-seulement les sénatus-consultes et les édits, mais les bruits du jour, fabulae et rurnores, le tout rédigé à ses frais par des operarii. Toutefois ces moyens de publicité privée paraissant insuffisants à un grand nombre de citoyens éloignés de Rome, on comprend que César, pour se rendre populaire, ait établi une publication officielle et régulière, à la fois pour les actes du sénat, et pour les faits de tout genre qui pouvaient intéresser le public. Mais il ne paraît pas qu'on ait fait de ces actes une sorte de bulletin administratif destiné à faire connaître au peuple le texte complet des actes gouvernementaux ou législatifs; car ces acta ont plutôt le caractère d'une chronique des faits journaliers de la ville de Rome exclusivement. Les témoignages anciens ne nous montrent pas non plus qu'il y soit fait mention des événements extérieurs, et notamment des guerres ; de là le nom spécial d'acta urbana ; c'est aussi là le caractère fondamental qui les sépare des ANNALES MAXIMI 25. De plus, ces actes contenaient une foule de petits faits privés ; ce qui est cause que Tacite parle de cette source avec dédain 26 comme fournissant une foule de détails indignes de l'histoire. Cependant les empereurs se servaient parfois des acta pour accréditer des faits controuvés 27 ; c'était donc déjà un instrument politique, utile notamment par la publication d'une partie des documents judiciaires. Le public lisait ces actes avec avidité en province et dans les armées 23. La rédaction et la publication en étaient sans doute confiées à un magistrat, comme celles des acta senatus; mais les textes sont muets sur ce point 29. On ignore également la forme de la publication. M. Hübner conjecture que les acta étaient inscrits sur un mur blanchi [ALBUM], comme les édits et affiches ; suivant le mode usité chez les Romains, les événements y étaient énoncés jour par jour 30, pour un certain laps de temps. On peut se faire une idée de la rédaction de ces actes par l'imitation en forme de parodie que nous trouvons dans Pétrone 31 : le greffier [ACTuARIUS] de Trimalchion vient lire pendant le repas une sorte de procès-verbal (tanquam urbis acta), dont voici la traduction « Le vu des calendes de juillet, il est né « dans le domaine de Cumes qui appartient à Trimalchion trente garçons et quarante filles. On a transporté de « l'aire dans les greniers cinq cent mille boisseaux de • froment ; on a accouplé cinq cents boeufs. Le même jour, • l'esclave Mithridate a été mis en croix pour avoir blas« phémé contre le génie tutélaire de Gaïus, notre maître. « Le même jour on a reporté dans la caisse dix millions de sesterces dont il n'a pas été possible de faire emploi. Le « même jour, il y a eu dans les jardins de Pompéi un in« cendie qui a pris naissance chez le fermier Nasta, etc. » Il est probable que cette affiche était ensuite copiée par les soins des LIBRARII, qui faisaient vendre les acta distribués en chapitres et en pages (memorialis libelli forma), et non pas en une seule feuille (transversa charta scripta), suivant la forme ancienne des lettres officielles des magistrats 32 On ignore l'époque où les acta populi ont cessé d'être en usage, mais la dernière mention s'en trouve dans Vopiscus, historien de l'empereur Probus 33 ; peut-être ont-ils disparu lorsque le siége de l'empire fut transféré de Rome à Constantinople. G. HUMBERT.